" Avant que les ingénieurs eussent fait sauter les rocs gênants pour leur tunnel, la muraille de pierre qui domine encore la route pointait vers le ciel, à 20 mètres du sol, son sommet hardi. Dans ses flancs s' ouvraient des excavations formant de véritables chambres souterraines où des ressauts de pierres offraient, sur leurs parois, des banquettes de repos.
Ces ingénieux réduits étaient l'oeuvre des eaux, mais l'imagination de nos pères les peupla de mystères.
Les plus vieilles traditions locales, signalées par Legouz de Gerland, voulaient que les druidesses de la région en eussent fait leur retraite. Elles venaient, disait-on près de Talant pour rendre des oracles. Mais le moyen âge eut tôt fait de transformer les druidesses en fées, et il ne manqua point de témoins sincères qui virent au clair de lune les blanches théories de dames entrer silencieusement dans les grottes du rocher. Ce rocher, on le désigna bientôt sous la dénomination patoise de for es fées qu'on écrivit plus tard abusivement fort aux fées. Nous disons abusivement car le mot patois "for" fut plus généralement interprété comme venant de forum, lieu d'assemblée, tandis que certains étymologistes lui donnent simplement la signification de four à cuire la pâte, dont la forme se retrouve dans les grottes et les cavernes.
Le lieu de réunion paraissait bien choisi et les sièges naturels qui garnissaient la grotte n'étaient point à dédaigner, même pour des fées.
Au surplus, chacun sait que les fées, très soigneuses en général de leur personne, sauf les fées grognons, fréquentaient les rivières et les sources. Sous leur for coulaient bien deux filets d'eau qui s'en allaient dans l'Ouche, mais les filets étaient trop minces et l'Ouche trop en contre-bas.
Aussi les fées, pour se baigner, préféraient-elles gagner la fontaine qui sort à mi-côte au midi de la montagne de Talant. Ce qu'elles faisaient, comme bien on pense, pendant la nuit fort dicrètement, et nul ne put jamais les surprendre. En tout cas la chose n'est pas douteuse, puisque la fontaine s'appelle toujours en témoignage, la Fontaine des fées.
Puis ces dames, en veine de balade poussaient une pointe jusqu'à la Roche Fendue qui s'appelle encore Roche à la Bique, sorte de menhir naturel situé sur le versant du coteau de la combe Valton, près de Bonvaux. Cette roche, haute de trois mètres sur un de large, est percée dans son milieu. Elle devint plus tard, dit la tradition, un lieu de sabbat pour les sorcières au moyen âge, et servit de rendez-vous aux carbonari de la Restauration. En somme tout cela se tient.
Mais n'oublions pas le For aux Fées. Ses hantises fantastiques s'étaient toujours bizarrement corsées d'une tradition religieuse, et les savants prétendent qu'au temps de la domination romaine, on avait élevé, au pied de la roche, un temple consacré à la divinité de la source. Une découverte, faite en 1889 par des ouvriers qui réparaient le lavoir contigu à cette source, donne à cette hypothèse une apparence de raison. Ces ouvriers, obligés de nettoyer la source, trouvèrent au fond la statuette en pierre blanche d'un dieu du paganisme. Quelque peu mutilée, la statuette devait mesurer dans son entier environ 0,48 m.
Le dieu imberbe et à demi- vêtu d'une draperie tombante tient de la main droite une patère posée sur une barre transversale rattachée à un siège. Le bras gauche brisé était plié. Quelques pièces de monnaies et une minuscule faucille furent découvertes à ses côtés.
Pour qui sait la profusion extraordinaire de divinités des sources répandues dans la Gaule païenne, il n'est pas douteux que la fontaine de la Roche ne fût sacrée et que la statuette trouvée en 1889 n'eût été placée comme génie de la source sur ses bords. Mais on sait aussi comment ces cultes du paganisme, ancrés dans les moeurs au point de n'en pouvoir être extirpés directement par le christianisme, furent transformés peu à peu sous l'influence des évêques.
Ceux-ci remplacèrent les idoles par la Vierge et les saints. Et voilà pourquoi, sans doute, tout à côté de cette source où l'on avait précipité le génie paien, s'éleva au moyen âge un oratoire consacré à Notre-Dame de la Roche. La Tibériade nous le montre placé au pied du rocher sur le bord du chemin. On dirait même un petit temple grec à fronton surbaissé.
Et non contents de protester ainsi contre le paganisme antérieur, nos pères, poussés peut-être par la frayeur secrète des traditions fantastiques persistantes, avaient multiplié tout à l'entour des signes de dévotion soigneusement reproduits par le peintre. Au-dessus de l'oratoire, une niche creusée dans le roc est pourvue d'une Madone et sur le sommet se voit un calvaire monumental dont la croix centrale paraît vide mais ornée seulement du chrisme. Des larrons semblent attachés aux croix latérales et une clôture entoure le tout. Au pied du calvaire, un Dieu de pitié, et plus près de chèvre-Morte, encore un pic surmonté d'une croix. Presque au-dessous,une image enchâssée dans le roc laisse subsister le doute. Etait-elle sainte, Vénus ou Fée?...La question n'est pas facile à résoudre.
Naturellement cette agglomération de monuments religieux n'allait pas sans dévotions extérieures et manifestations pieuses. Aussi, M. le chanoine Morillot nous apprend -t-il que la paroisse de Talant, sur laquelle se trouvait la chapelle de la Roche, s'y rendait en procession trois fois par an: le mardi de Pâques, jour où en divers lieux s'accomplissaient des pélerinages substitués à des coutumes du paganisme; le jour des premières communions, pour y consacrer les communiants à Notre-Dame de laRoche; et enfin à la fête de saint Simon , en action de grâce pour les vendanges .
Au XVIIIème siècle, le calvaire n'existait plus, si l'on s'en rapporte à la gravure d'un dessin de Lallemand. L'oratoire était encore en place, encadré de deux grands arbres, mais le fronton grec de la Tibériade était remplacé par un siple pignon sur route.
Extrait de Fyot. Dijon son passé évoqué par ses rues. l
Tiré du livre "Plombières-les-Dijon a travers les âges"
Diaporama de l'Ouche et de son Bief
mercredi 4 juin 2008
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